article de fond sur la création de nouveaux modes de consommation, commercialisation et distribution de la musique grâce à internet : deezer, jiwa, jamendo, téléchargement, streaming, spidart ou encore sellaband...

"Power to the people !"

Il n’y a encore qu’une dizaine d’années, les Majors étaient encore confortablement assis dans leurs fauteuils de dictateurs musicaux, décidant ce qui était « bon » ou pas. Il y avait bien quelques poches de résistances à travers de petits labels obscurs, mais leur champ d’action restait très limité. Pourquoi cette situation ? Le principe en est très simple, nous explique Chris Anderson, rédacteur en chef du magazine Wired, et inventeur du principe de la « Longue Traîne ». La raison : la matérialité de la musique. En effet, jusqu’à l’apparition d’internet, la musique était encore forcément fixée sur un support matériel et physique, depuis le vynil jusqu’au CD audio. Pour vendre de la musique, il fallait donc l’acheminer jusqu’aux revendeurs à travers des pays, voire des continents entiers, c’est-à-dire dépenser de l’argent dans le transport, dans la presse, dans le packaging... Bref, dans beaucoup de choses qui, au final, ne s’écoutent pas. Ceci implique de la part de la maison de disques une mise de fonds importante au lancement du disque. Imaginez qu’un single lancé à 100 000 exemplaires fasse un flop, et voilà notre Major en mauvaise posture. Quant aux petits labels, ils ne disposaient pas de moyens financiers suffisants pour être distribués de manière large, et ne pouvaient qu’espérer un succès local, ou dans un cercle d’auditeurs ultra-spécialisé.

Cette situation avait deux principales conséquences :

  • les maisons de disques recherchaient principalement la rentabilité, et réduisaient leur catalogue, pour tirer dans un plus grand nombre d’exemplaires les titres très rentables. La prise de risque au niveau musical était de plus très faible pour assurer un succès minimum. Les rééditions de grands succès passés (remix, albums live) étaient un bon moyen de produire des disques rentables avec peu de moyens.
  • Pour de petits groupes qui débutaient il était très difficile de se faire connaître et de percer, d’autant plus s’ils étaient originaux, dans la mesure ou le Major prenait un gros risque financier, en produisant un groupe qui jouait quelque chose d’original, donc d’imprévisible en termes de retombées commerciales.

Autant de conditions qui ont créé la « culture du hit », c’est-à-dire ce que vous entendez quand vous allumez votre radio ou votre télé.

Mais voilà, depuis quelques temps vous avez une alternative. En plus de votre radio ou de votre télé, des antiquités qui n’intéresseront bientôt plus personne, vous pouvez maintenant allumer votre ordinateur, relié à internet. C’est à ce moment qu’intervient le concept de Chris Anderson, la Longue Traîne. Pour faire simple, la Longue Traîne, c’est le futur de la musique ( et du divertissement en général) sur internet. Pour mieux comprendre, rappelez-vous de la contrainte du XXème siècle : la matérialité. L’arrivée de l’informatique a bouleversé cette notion. Nous pouvons maintenant télécharger du contenu multimédia sans avoir à acheter un objet. Ca revient au même, ça sonne pareil, mais c’est complètement différent. En téléchargeant un titre de votre artiste préféré, vous vous passez du transport, de l’impression de la jaquette, du pressage du CD, et de nombreux intermédiaires qui prenaient leur part du gâteau. Ce qui signifie que le prix de lancement d’un titre ne revient plus qu’au prix de l’enregistrement et de la promotion. Le reste du raisonnement est très simple : avec quelques serveurs on dépasse largement la capacité de stockage d’un disquaire, et les maisons de disques peuvent alors élargir leur catalogue sans risque. Les groupes débutants et les petits labels peuvent bien sûr profiter de cette avancée technologique pour accroître leur renommée, et être distribués aussi largement que les Majors. La dictature des maisons de disques est, à partir de ce moment, condamnée.

En effet, ayant accès à un catalogue de plusieurs centaines de milliers de disques en ligne, l’internaute découvre un monde musical d’une diversité insoupçonnée. Il découvre par la même occasion qu’il a de vrais goûts personnels, et pas seulement le choix entre Britney Spears et Céline Dion. Le Major découvre aussi que de nombreux marchés s’ouvrent à lui : les amateurs de death metal ou de trancegoa, qui étaient trop peu nombreux et surtout trop éparpillés géographiquement pour être rentables, le deviennent grâce à leur possibilité de télécharger la musique. Il va sans dire que les titres qui étaient non rentables pour ces raisons sont infiniment plus nombreux que les hits des années 90, et donc qu’il est probable que sous peu, ils rapportent plus d’argent que les tubes, qui de plus n’intéresseront plus grand monde. Bref, nous en sommes arrivés à un système plus performant, qui profite aussi bien au consommateur qu’aux producteurs, qu’aux artistes.

On pourrait croire qu’arrivée à cette étape la révolution a atteint son but. Mais rassurez-vous, ce n’est que le début.

"Money for nothing"

Après toutes ces avancées, il reste pourtant un problème majeur dans le système : si le prix de production d’un titre a beaucoup baissé, son prix de vente, lui, n’a pas bougé d’un dollar. En effet, le prix d’un titre vendu sur les sites tels que fnacmusic.com est aux alentour d’un euro. Selon Chris Anderson, le prix réel d’un titre (en ligne) d’un album vendu à 300 000 exemplaires est de 17 cents. Il estime les prix trop élevés de 25% en moyenne. Alors pourquoi ces prix si élevés ? Tout simplement parce que les maisons de disques ont peur du phénomène appelé le « conflit des canaux ». Sous ce nom se cache un risque très simple : celui de « couler » le canal de distribution classique (disquaires, grandes surfaces spécialisées) en affichant des prix en ligne trop bas. Mais si vous êtes disquaire, ne vous croyez pas sorti d’affaire pour autant, le canal de distribution classique finira sûrement par presque totalement disparaître, un jour ou l’autre. Ceci pour une bonne raison : 99 cents, c’est moins cher qu’un album à 15 euros, mais c’est encore 99 cents plus cher que de pirater la chanson. Nous voilà maintenant au coeur du problème : si internet a provoqué la chute du totalitarisme des Majors, il a aussi entraîné la prolifération de la contrebande de musique, grâce aux logiciels de Peer-to-peer utilisés pour pirater de nombreux disques (mais aussi films, jeux-vidéos...). La question qui se pose actuellement aux internautes est donc : « Pourquoi payer ? ». La situation a d’ailleurs évolué depuis ne serait-ce que quelques années. Les téléchargements pirates sont beaucoup plus fiables, et la qualité des fichiers est sensiblement la même que dans un téléchargement légal. La jurisprudence semble aussi de moins en moins dure avec les pirates, et l’on voit s’installer un fort sentiment d’impunité chez les internautes.

La peur du conflit des canaux empêchant les Majors de descendre leur prix, la situation paraît bloquée. D’autant plus qu’une expérience effectuée par rhapsody.com (un site revendeur de musique en téléchargement ), consistant à descendre le prix des titres à 45 cents, a permis au site de tripler ses ventes. L’expérience n’a pas pu se prolonger sous la pression des maisons de disques, qui demandaient des royalties trop élevées pour maintenir de tels prix. Baisser les prix permet donc de vendre plus... une solution pourtant dénigrée par les Majors. Mais tous ces changements ne sont pas arrivés par hasard, et une fois le mouvement enclenché il ne pouvait s’arrêter aussi facilement. Une nouvelle forme de distribution de musique s’est alors développée pour faire face au téléchargement illégal : le gratuit.

"Working class hero"

Attention, ne pas confondre musique gratuite avec téléchargement pirate. Ce nouveau modèle de distribution de musique est totalement légal et opère avec l’accord des grandes maisons de disques. Le principe en est simple : les sites proposant ce système (comme Deezer ou Jiwa pour ne citer qu’eux) fonctionnent sur la technologie internet du streaming, qui consiste à charger progressivement un fichier sur sa machine, sans pour autant le télécharger totalement, rendant ainsi impossible l’écoute off-line, ou encore l’envoi du fichier d’une machine à une autre. Des royalties sont reversées aux maisons de disques à chaque écoute, royalties générées par les revenus publicitaires du site. Ce mode de consommation musical se présente donc comme une alternative gratuite au piratage illégal.

Le défaut de ces sites, car il y en a quand même un, réside en fait dans le catalogue de musiques proposé. En effet chaque site signe un accord avec un Major et quelques petits labels indépendants, mais ne diffuse pas réellement d’artistes plus confidentiels. Les groupes débutants, ou moins accessibles au grand public, ne profitent donc pas des avantages du web dans un système comme celui-ci. Pour résoudre ce problème, il a encore fallu trouver de nouveaux systèmes de diffusion.

Jamendo.com a été l’un des précurseurs de ce nouveau type de service musical en ligne. Le site propose aux artistes de diffuser leur musique par son intermédiaire, mais en la distribuant sous une licence libre de droit. Ce qui signifie que leur musique peut être téléchargée librement depuis le site, puis échangée, re-ditribuée... tant qu’elle ne fait pas l’objet de commercialisation. Mais alors, quel est l’intérêt pour ces groupes ? Tout d’abord ils profitent de la visibilité offerte par le site, qui peut leur apporter une certaine notoriété. Les auditeurs peuvent d’ailleurs faire des dons aux artistes par l’intermédiaire du site. Mais surtout il est important de comprendre qu’au XXIeme siècle les artistes ne vivront plus véritablement de leur musique, ou du moins plus des ventes de leurs enregistrements. Il paraît en effet plus probable que la majorité de leur revenus seront générés soit par les concerts, soit par la vente de produit dérivés exceptionnels, personnalisés, etc. La notoriété, la relation avec son public pour le fidéliser, devient alors plus important pour un groupe que de vendre des titres en ligne. L’avenir est clairement orienté vers le relationnel, le lien presque personnel entre le public et l’artiste.

C’est sur ce constat que se sont basés les créateurs de sites comme spidart.com ou encore sellaband.com. Ces sites constituent l’évolution la plus récente, mais sûrement pas la fin de la révolution. Ils proposent tout simplement à n’importe quel internaute de devenir lui-même le producteur de son artiste préféré. Pour cela, les artistes s’inscrivent sur le site et proposent des maquettes, téléchargeables gratuitement. Si le groupe plaît à un auditeur, celui-ci a la possibilité de lui « prêter » de l’argent, de 10 euros à autant qu’il souhaite. Le compte de l’artiste sur le site augmente donc peu à peu, au fur et à mesure des « investissements » des internautes, et, arrivés au chiffre de 50 000 euros (ou dollars), le site organise avec cet argent l’enregistrement de l’album de l’artiste, et le pressage de 10 000 CDs. Une fois produit puis pressé, le disque est vendu et l’artiste, le site et les internautes-investisseurs se partagent les revenus. Deux choses très importantes sont à retenir de ces nouvelles expériences : tout d’abord l’absence de label à proprement parler, ce sont les auditeurs qui décident de l’artiste qu’ils veulent produire. La deuxième chose est le changement dans la relation entre le public et l’artiste. En effet, en devenant producteur d’un artiste, l’internaute acquiert un statut privilégié qui lui offre de nombreux avantages : il peut suivre le développement de son artiste au jour le jour, le rencontrer, accéder à des bonus comme des compositions inédites, des éditions de luxe du disque, voire des concerts privés... En fait, le producteur achète un réel contenu, et plus simplement un CD.

D’une manière générale, on peut s’attendre au fait que pour vendre encore du support matériel, les artistes devront s’efforcer de créer une réelle valeur ajoutée par rapport à ce que peuvent offrir le piratage ou encore les sites gratuits.Mais il ne faut pas perdre de vue qu’à travers ces nombreuses évolutions, ces diverses tentatives, dont certaines échoueront et d’autres réussiront, l’ensemble de la chaîne de production, distribution et consommation de musique s’en sort améliorée (d’un point de vue qualitatif). Pourvu que ça dure, et vive la révolution !

C.R.

Quelques liens pour en savoir plus, qui m’ont guidé dans mon travail :
Traduction de l’article "La longue traîne" de Chris Anderson
Le site du livre "L’age de peer" d’Alban Martin, disponible gratuitement en version audio

article de réflexion sur l'évolution de la musique sur internet, le futur de la musique, la révolution musicale sur le web : deezer, jiwa, jamendo, téléchargement, streaming, spidart ou encore sellaband...